La photographie est souvent la saisie d’individus dans leur contexte de vie. Agnès Fornells effectue, depuis plusieurs années, des voyages à Mexico, où elle explore la ville et les usages de ses habitants. De l’autre côté (2016) est l’une des séries d’images par lesquelles elle tente de rendre compte d’une forme de traversée de l’espace public, et quelque chose comme son retournement. Les êtres sont des apparitions, ou sont signalés par quelque objet (moto, voiture, ustensiles…) ou des signes que l’artiste a saisis comme à la volée sur des murs ou sur le goudron. C’est comme si l’idée des choses planait au-dessus ou autour d’elles, permettant d’échapper à leur spatialité restreinte.

Emmanuel Latreille

La série De l’autre côté, place celui qui regarde dans cette disposition d’esprit dans la mesure où bien que les photographiques paraissent familières, certains éléments viennent perturber leur perception, les images dégagent une sorte d’irréalité. Un glissement a lieu, qui pousse à confondre la réalité et l’effet des images. Par un jeu de mise en abîme, la réalité se dédouble pour mieux lever les voiles et faire écho aux vacillements qui recouvrent le réel. L’envers montre un endroit possible, aux rues déformées, découpées, floues, partielles. Agnès Fornells regarde «de l’autre côté de la flaque», au travers d’un miroir cherche la logique et le sens de ce nouvel arrangement. Elle a capté Mexico dans l’eau des rues, au hasard des surfaces délimitées, avant de retourner les clichés pour nous placer face aux images. Ne pas tout saisir instantanément permet de chercher à comprendre. A l’envers ou à l’endroit, les reflets sont l’occasion de voir autrement. «La vie réelle se porte mieux si on lui donne ses justes vacances d'irréalité»*. Cette série renvoie également à l’histoire particulière qu’entretiennent les chilangos avec l’eau, soumis aujourd’hui à des pénuries, alors qu’à l’origine la ville était traversée de nombreux cours. Lavant fréquemment les rues et les places à grandes eaux, les flaques semblent un rappel inconscient à cet âge d’or de la ville.

*Gaston Bachelard, L'Eau et les Rêves , 1942

Céline Mélissent